N'ayant pas encore déjeuné, j'ajoute de l'eau dans la
bouilloire pour faire mon café instantané du matin. Pendant que l'eau commence
à chauffer, je me dirige vers la porte-fenêtre et je jette un oeil dans le
télescope afin de faire une première ronde afin d'observer des espèces aquatiques dans l'entrée
du fjord. Devant la résidence ces jours-ci, le yo-yo de la météo fait que la
baie gèle et dégèle à répétitions. Aujourd'hui, tout est à l'eau libre. Puis, j'entends
l'eau qui s'échauffe davantage dans la bouilloire, mais elle ne siffle pas encore
pour le moment. J'ai encore du temps pour effectuer de la recherche d'oiseaux
au télescope.
La vue à partir de la porte-fenêtre |
La flèche littorale au loin lors de la marée descendante |
J'effectue un scan sur les rochers de la flèche littorale.
Soudain, je m'immobilise. Il y a un oiseau d'apparence foncé ayant une forme
ovale posé à mi-flèche. D'un geste vif de la main, je tourne le zoom de
l'oculaire au maximum. Tout mes sens m'apparaissent soudainement, le tableau de
bord s'allumant en même temps, en rouge. De ma voix, je casse le silence dans
la maison : « Hé! Germain, vite! Viens
voir! Je crois que j'ai un gerfaut! » J'entends le froissement des
vêtements de Germain. Il prend ma place et regarde l'oiseau dans l'oculaire.
Pendant qu'il l'observe, je débranche l'alimentation électrique de ma
bouilloire. À peine avais-je tourné le dos que Germain s'agitait partout dans la
maison claquant les portes des garde-robes. D'un pas pressant, il se change,
prend au passage ses optiques et sa caméra dans le but d'aller à la rencontre
du rapace. C'est que l'oiseau de proie est situé à deux kilomètres de notre
résidence et ne peut être photographié proprement dit de notre maisonnée. Sans
avoir eu l'occasion de déjeuner, voilà que Germain est parti à l'aventure. Moi,
je reste à la maison, car je ne suis pas prête.
Je retourne au télescope et observe tous les détails
possible du rapace. De temps en temps, je fouille aussi les eaux du Saguenay
pour repérer des canards de mer : « Garrots
à oeil d'or... oui... Ah! Voilà la bande
de Grands Harles au large de la flèche. » Un coup de télescope sur la
pointe à Gonie le long du rang Saint-Martin à Chicoutimi me révèle la présence
d'un Pygargue à tête blanche adulte posé sur son Pin blanc favori. Comme à
l'accoutumé, celui-ci attend que la marée commence à descendre pour effectuer
sa chasse le long des battures. Je reviens ensuite au Faucon gerfaut. Oh! Le
rapace s'étire les ailes. Ça, ça veut dire qu'il a l'intention de s'envoler. Comme
de fait, le gerfaut part comme une balle et longe la flèche littorale en se
dirigeant vers la route Tadoussac, non loin de Germain. Bon... puisque l'oiseau
est disparu de mon champ, je retourne à ma bouilloire et la rebranche dans la
prise. Comme l'expression dit par mes camarades ornithologues, je suis encore
dans mon linge mou et m'aligne pour prendre mon café matinal. Le matin, j'aime
bretter et prendre mon temps.
« DRING! DRING! »
le téléphone retentit dans la maison où le silence régnait en maître. C'est
Germain au bout du fil. De sa voix un peu essoufflé, il lance : « Clo! Habilles-toi! Je vais aller te
chercher. Le gerfaut est posé sur les battures sur le bord de la route ! »
Pour une deuxième fois, je débranche la bouilloire. Puis je file illico dans ma
chambre. Bing! Bang! Les portes des garde-robes s'ouvrent brusquement, les
pyjamas s'envolent sur le lit, je cours chercher ma caméra et mes jumelles et j'enfile
mon linge d'hiver . Je suis en train de mettre mes bottes lorsque Germain est
déjà devant la porte d'entrée et m'attend. Oh, ciel! Je n'ai pas eu le temps de
prendre mon café. Que c'est cruel!
Le Faucon gerfaut sur la flèche vu par Germain (photo de Germain Savard) |
Le faucon s'envole (photo de Germain Savard). |
Nous voilà partis pour les battures ! Rendus près de celles-ci,
Germain stationne la voiture du côté opposé de la rivière Saguenay, en face du
marais de Canards Illimités. Il me dit de me pencher pour aller vers le gerfaut
que nous voyons posé sur un rocher près de la route Tadoussac. Il me laisse y
aller tout seul afin d'augmenter mes chances de le filmer. Le corps replié à
l'Indiana Jones pour me cacher, la caméra dandinant au cou, je traverse le
boulevard. Bordel! Il fait extrêmement froid aujourd'hui. Le vent est cinglant.
Ça va être dur pour les mains et pour la manipulation de la caméra. Accroupie
sur l'accotement, mes poignets sont accoudés sur le garde-fou en métal. Mon corps lui est blotti contre des amoncellements de glaces durs laissés par la charrue et qui
me rentrent dans l'estomac. Une fois stabilisée, je me mets en mode vidéaste et commence à filmer le
faucon. Pendant ce temps, Germain attend dans la voiture. Lui, il sait ce que
je fais, mais les dizaines de véhicules qui passent près de moi à un mètre à
peine regardent eux la motte rose vive (mon veston) qui git au sol. Se faisant,
ils ralentissent un peu leur course pour finalement réaliser que c'est
quelqu'un qui fait là une chose très bizarre. Il me semble de les entendre dire
à leurs copains : « Hé, les mecs! J'ai
vue une folle sur le bord de la route ce matin qui était couchée et qui ne
bougeait pas... »
Les battures cette journée-là |
Le Faucon gerfaut aux abords de la route |
Le faucon dans toute sa splendeur (photo de Germain Savard) |
Malgré le trafic lourd, je me concentre et me coupe du bruit
et des regards inquisiteurs des voyageurs. Dès cet instant, l'univers nous
appartient, le Faucon gerfaut et moi. Nous sommes maintenant seuls au monde.
Pendant que je prends des clips, je l'admire. Son plumage est de couleur gris
acier foncé. Le corps robuste, son plumage est gonflé pour se parer du froid.
D'allure calme sur son rocher, il n'est aucunement nerveux. De temps en temps,
il tourne légèrement la tête pour vérifier ce qui se passe dans son
environnement. Lui, il est relaxe, mais moi, non. Je suis devant l'une de mes
espèces préférées dans le monde ailé. Après l'Aigle royal, c'est mon deuxième
favori. Mon coeur bat la chamade devant cette royauté qui est tout près de moi et
que je considère comme un prince de l'Arctique. À genou à ses côtés, je
succombe par sa beauté et sa noblesse. Oh! Il me regarde! Oui! Le gerfaut à
daigner me regarder, un cadeau pour moi toute seule! À cet instant, je lui cède
mon âme. Ah! Ses yeux vifs et acérés m'ont électrisé, foudroyé sur place! C'est
la première fois qu'un gerfaut fait contact visuel avec moi. Dans l'intimité de
mon être, je communie avec lui, le salue et lui dis qu'il est magnifique. Il
s'agit d'un moment très spécial pour moi. On aurait dit que le temps s'est figé
pendant quelques secondes ou quelques minutes, je ne sais trop.
Le Faucon gerfaut aux aguets (vidéo de Claudette Cormier)
Le faucon au regard princier (vidéo de Claudette Cormier)
Aie! Mes doigts me font mal. Le vent glacial me pétrifie. Je
sors du cocon douillet de mon esprit et revient brusquement à la réalité du
froid. À côté de moi, j'entends les pas de Germain, les bottes faisant craquer
chaque morceau de glace sur la chaussée. Il s'accroupie près de moi et installe
le télescope. Les mains jointes portées sur ma bouche, je souffle de l'air chaud sur celles-ci en espérant
les réchauffer. Germain m'invite à regarder le rapace au télescope. Ouf! C'est le
coup de grâce! J'ai beau être amoureuse de Germain, mais là, il a un sérieux
prétendant! Trônant sur son rocher en contrôle de lui-même, le maître gerfaut
inspire le respect. Tour à tour, nous l'admirons tout en étudiant son plumage.
Pour nous c'est un véritable cadeau puisque habituellement, cette espèce se
voit souvent de très loin et ne demeure pas en place très longtemps.
Le faucon érige soudain son corps et hoche de la tête. Je
prends aussitôt un clip, car je me doute qu'il va s'envoler bientôt. Dans les
secondes qui suivent, il défèque et d'un élan explosif, il s'envole en
direction de l'Anse-aux-Foins. La cadence de son vol est régulier, mais vous
dire la puissance des battements d'ailes! Il faut le voir de ses yeux pour
constater comment ce faucon est puissant et extrêmement rapide lorsqu'il se
déplace. Soudain, un groupe de Plectrophanes des neiges s'envole en catastrophe
et le gerfaut se pose à nouveau sur un rocher. Cependant, il est loin.
Le vol du faucon (vidéo de Claudette Cormier)
Le Faucon gerfaut sur le rocher au loin |
Les yeux plissés par le vent cinglant, Germain me regarde.
Il se penche vers moi et tremblotant, il demande : « Et si on allait déjeuner au restaurant? » Sans me faire prier une
seconde de plus, je me lève. Je salive déjà à penser que je vais déguster un
bon café bien brûlant tout en me tapant un bon déjeuner avec lui. Cela fait
deux heures que nous sommes levés et que nous n'avons rien mangé ou ingurgité. À ce stade, le
froid sibérien a eu raison de nous. Les doigts crochis par le froid, les pieds
gelés, le corps frissonnant, nous partons avec le coeur réchauffé par cette
rencontre inusitée d'un Faucon gerfaut, prince de l'Arctique.
Vous avez une très belle plume madame. Vous avez peut-être du sang de faucon qui sait! hihi
RépondreSupprimerJe vous remercie pour votre appréciation de l'article! Ça me fait chaud au coeur! Vous avez raison... J'ai du sang de gerfaut et d'aigle qui coule dans mes veines! Une belle expression. J'adopte!
RépondreSupprimerTrès beau texte, Clo, et belle rencontre.
RépondreSupprimerMerci infiniment chère Linda pour ce très beau compliment! Tu es fort gentille!
RépondreSupprimerwow toute qu'une expérience et très bien écrite. Super Claudette
RépondreSupprimerGrand merci pour les éloges chère Jacynthe! Cela me rend encore plus heureuse!
RépondreSupprimerQuel bel article écrit sur un icône de l'arctique. Le Faucon gerfaut se retrouve au sommet de la liste des amoureux des falconidés. Ton vidéo lors de son envolée est quelque chose à voir et j'en ai eu les poils qui se sont dressés sur mes bras. Superbe oiseau et ton article lui rend un hommage bien senti. Bravo Claudette !
RépondreSupprimerCher Laval, toi mon ami de longue date... Comme toujours, tu sais si bien illuminer mon âme de tes pensées suaves qui me touchent chaque fois que tu m'écris. Je te remercie sincèrement pour ton témoignage.
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