Nous sommes le 9 novembre. La veille, je m'étais informée
des systèmes météorologiques en place ainsi que des prévisions à court terme
avec les médias. Mon plan de match s'est cristallisé. Aujourd'hui, nous irons à
La Baie afin d'observer les oiseaux de proies. Pas n'importe lequel... les
pygargues et les aigles. C'est ma spécialité. De bonne heure, nous quittons
notre demeure à Saint-Fulgence. Nous allons avant tout nous taper un déjeuner costaud au
restaurant du coin. Toasts, oeufs, bacon, saucisses et fèves au lard au menu. Avec
un merveilleux café bien sûr. C'est que ce ne sera pas facile aujourd'hui de
tenir bon au froid sur le terrain. Ça nous prendra beaucoup de calories pour
contrer les éléments de la nature. En effet, il y a de forts vents du
nord-ouest qui soufflent entre 30 et 50 kilomètres/heure. À l'automne, les
rapaces aiment ces vents. C'est plus facile pour eux de s'élever et de voyager
avec le vent dans le dos. Depuis un bon moment, les systèmes n'ont pas été
favorables pour la migration des oiseaux de proie. Puisqu'il y a une fenêtre ouverte
dans le temps aujourd'hui, je m'attends à vivre un bon recensement, surtout des
pygargues, puisqu'au mois de novembre, ces gros rapaces migrent en bon nombre.
Au nord, la neige est présente ce qui devrait les inciter à migrer.
Voilà, c'est fait. Nous nous sommes tapés un bon repas
copieux. L'estomac repu, bourrés de calories, Germain et moi nous dirigeons
vers La Baie. Cela prend environ une quarantaine de minutes pour s'y rendre à
partir de Saint-Fulgence. C'est pour moi un supplice d'être patiente en
attendant d'arriver. Faire du rapace pour moi est un réel bonheur et je
voudrais déjà être sur place en claquant des doigts. Mais... nous serons à La Baie vers 9h.
Nous empruntons le boulevard Saint-Jean-Baptiste. Pendant
que Germain conduit, je regarde le ciel au cas où je verrais un rapace en
migration. Soudain, un mouvement attire mon attention à ma droite. Volant
au-dessus d'un champ le long de la route, je détecte un hibou! Au début, je
croyais avoir affaire à un Harfang des neiges. « ARRÊTE, GERMAIN! ». Due à la
tonalité de ma voix, Germain freine illico et se gare sur l'accotement faisant
lever un nuage de neige. Un moment de silence passe pendant que je braque mes
jumelles sur le hibou. Oh! C'est un Hibou des marais! De toute urgence, nous
sortons du véhicule pour l'observer davantage. Avec son vol papillonnant, le
hibou se déplace très rapidement puisqu'il a une escorte de corneilles qui le
talonne et qui s'époumone pour le faire déguerpir. Puisque le Hibou des marais
est en déclin depuis un certain nombre d'années, nos observations de cette
espèce dans la région sont toujours très appréciées. En quelques secondes, le
hibou traverse la route, passe devant nous et disparaît rapidement de notre
champ de vision. Heureux de cette rencontre avec cet oiseau, nous poursuivons
notre route vers La Baie. Hé-Hé! Nous y sommes presque!
Hibou des marais en vol
Après avoir franchi tous les feux de circulation et après avoir
enduré la lenteur du trafic, nous voilà rendus sur le stationnement du Musée du
Fjord. Aussitôt sorti du véhicule, nous constatons que le vent est vraiment
vif et mordant. C'est toujours plus froid ici. Non! Que dis-je? C'est toujours plus
frette à La Baie, l'endroit étant un corridor naturel où le vent s'engouffre.
Puis s'ajoute l'humidité du mois de novembre sur le bord de l'eau. Habillés au
maximum, mes bras ne touchent plus mes flancs, comme on le voit parfois chez un
culturiste surdéveloppé. Je porte sur moi un T-shirt, un gilet col-roulé, un gilet
épais en laine, un foulard et une grosse doudoune.
À première vue, tout m'a l'air tranquille dans les alentours. La piste
cyclable est complètement vide de monde et les battures sont désertes à part
une poignée d'Oies des neiges qui s'alimentent devant nous. Quand je pense
qu'il y a deux semaines, nous étions dans l'ivresse des oies et de leur
cacophonie. Eh bien! Elles ont fini par migré.
Une piste cyclable vide |
Ce qui reste des Oies des neiges |
La marche des Oies des neiges
Ah! Voilà nos amis Serg Tremblay et Hugues Simard qui
arrivent, étant avisés au préalable. Les optiques sont installés et après nos
salutations chaleureuses, on se met tous aux jumelles pour scruter le ciel à la
recherche des Pygargues à tête blanche et des Aigles royaux. Dans la demi-heure, Serg s'écrie : « Un pygargue adulte! » Et les
festivités commencent...
En novembre, La Baie est tout prescrit pour l'observation
des oiseaux de proie, en particulier les pygargues et un peu moins les aigles,
puisque ces derniers ont plutôt migré en octobre. Les rapaces qui arrivent du
nord franchissent la chaîne de montagnes des Monts-Valin qui ceinture le nord
de la région. Les pygargues traversent ensuite la rivière Saguenay et survolent
d'autres montagnes avant de traverser les eaux de la baie jusqu'à nous. C'est là que
nous les attendons alors que ceux-ci s'élèvent pour prendre de l'altitude. Après
leurs traversées, les pygargues et les aigles poursuivent leur route vers la
réserve faunique des Laurentides en direction du sud. Croyez-moi! Ces montagnes
sont un pur bonheur pour les amateurs d'oiseaux de proie comme moi. Par contre,
un télescope est essentiel pour leurs identifications à longue distance.
La baie lors de la marée basse (ilet à gauche) |
La chaîne des Monts-Valin enneigée derrière |
Au bout de quelques heures, nous commençons tous à geler.
Serg sent le froid franchir une à une ses vertèbres et frissonne. Hugues lui,
commence à greloter. Quant à Germain et moi, nous avons froid aux pieds. Pour nous
réchauffer, nous effectuons quelques pas de danse discrets entre des séances de
jumelles.
« Pygargue adulte! » criais-je. Encore un. Nous nous
délectons à le voir voler et migrer près de nous. Nous poursuivons ainsi, à
faire des vérifications régulières aux jumelles en bavardant de temps en
temps, la tête rentrée dans les épaules à cause du vent froid. À l'heure du
midi, Hugues nous quitte, le corps grelottant. Et pour cause! On se sent comme
dans l'Arctique. Ainsi, un vénérable soldat est tombé. Nous continuons les
observations avec Serg. Cependant, le temps froid, venteux et humide grugent de
plus en plus nos énergies et siphonnent nos précieuses calories.
Vers 13h, nous avons en cumulatif huit pygargues (deux adultes et six
immatures) en migration! Pas d'aigles aujourd'hui. C'est au tour de Serg de
nous quitter maintenant. Les pieds qui gèlent sont meurtriers pour le reste du
corps qui n'arrive plus à se réchauffer. Une heure après, n'en pouvant plus non
plus, c'est à notre tour de trouver refuge pour se réchauffer. Même que,
Germain faisait un début d'hypothermie. Il grelotte sans pouvoir se contrôler.
Quant à moi, mes rotules d'épaules surchauffent et brûlent littéralement à
cause des efforts soutenus, ayant toujours les bras relevés. Ainsi, nous nous
ruons au restaurant pour manger, boire des breuvages chauds, enlever nos bottes
et se réchauffer! Vous dire que La Baie en novembre est traitre pour le froid,
c'est peu dire!
Malgré ces inconvénients, nous sommes très heureux de notre
journée avec tous nos pygargues en poche. Cependant, rien n'a été acquis. Nous
avons fait des efforts à la limite de nos capacités physiques. Le bedon bien
remplie, le corps réchauffé, le rose revenant sur les joues, nous partons de La
Baie pour retourner dans notre havre à Saint-Fulgence. Ce fut une magnifique
journée!
Un Pygargue à tête blanche immature en migration
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