Par Claudette Cormier

lundi 11 novembre 2013

La quête des oiseaux de proies

Nous sommes le 9 novembre. La veille, je m'étais informée des systèmes météorologiques en place ainsi que des prévisions à court terme avec les médias. Mon plan de match s'est cristallisé. Aujourd'hui, nous irons à La Baie afin d'observer les oiseaux de proies. Pas n'importe lequel... les pygargues et les aigles. C'est ma spécialité. De bonne heure, nous quittons notre demeure à Saint-Fulgence. Nous allons avant tout nous taper un déjeuner costaud au restaurant du coin. Toasts, oeufs, bacon, saucisses et fèves au lard au menu. Avec un merveilleux café bien sûr. C'est que ce ne sera pas facile aujourd'hui de tenir bon au froid sur le terrain. Ça nous prendra beaucoup de calories pour contrer les éléments de la nature. En effet, il y a de forts vents du nord-ouest qui soufflent entre 30 et 50 kilomètres/heure. À l'automne, les rapaces aiment ces vents. C'est plus facile pour eux de s'élever et de voyager avec le vent dans le dos. Depuis un bon moment, les systèmes n'ont pas été favorables pour la migration des oiseaux de proie. Puisqu'il y a une fenêtre ouverte dans le temps aujourd'hui, je m'attends à vivre un bon recensement, surtout des pygargues, puisqu'au mois de novembre, ces gros rapaces migrent en bon nombre. Au nord, la neige est présente ce qui devrait les inciter à migrer.

Voilà, c'est fait. Nous nous sommes tapés un bon repas copieux. L'estomac repu, bourrés de calories, Germain et moi nous dirigeons vers La Baie. Cela prend environ une quarantaine de minutes pour s'y rendre à partir de Saint-Fulgence. C'est pour moi un supplice d'être patiente en attendant d'arriver. Faire du rapace pour moi est un réel bonheur et je voudrais déjà être sur place en claquant des doigts. Mais... nous serons à La Baie vers 9h.

Nous empruntons le boulevard Saint-Jean-Baptiste. Pendant que Germain conduit, je regarde le ciel au cas où je verrais un rapace en migration. Soudain, un mouvement attire mon attention à ma droite. Volant au-dessus d'un champ le long de la route, je détecte un hibou! Au début, je croyais avoir affaire à un Harfang des neiges. « ARRÊTE, GERMAIN! ». Due à la tonalité de ma voix, Germain freine illico et se gare sur l'accotement faisant lever un nuage de neige. Un moment de silence passe pendant que je braque mes jumelles sur le hibou. Oh! C'est un Hibou des marais! De toute urgence, nous sortons du véhicule pour l'observer davantage. Avec son vol papillonnant, le hibou se déplace très rapidement puisqu'il a une escorte de corneilles qui le talonne et qui s'époumone pour le faire déguerpir. Puisque le Hibou des marais est en déclin depuis un certain nombre d'années, nos observations de cette espèce dans la région sont toujours très appréciées. En quelques secondes, le hibou traverse la route, passe devant nous et disparaît rapidement de notre champ de vision. Heureux de cette rencontre avec cet oiseau, nous poursuivons notre route vers La Baie. Hé-Hé! Nous y sommes presque!


 Hibou des marais en vol

Après avoir franchi tous les feux de circulation et après avoir enduré la lenteur du trafic, nous voilà rendus sur le stationnement du Musée du Fjord. Aussitôt sorti du véhicule, nous constatons que le vent est vraiment vif et mordant. C'est toujours plus froid ici. Non! Que dis-je? C'est toujours plus frette à La Baie, l'endroit étant un corridor naturel où le vent s'engouffre. Puis s'ajoute l'humidité du mois de novembre sur le bord de l'eau. Habillés au maximum, mes bras ne touchent plus mes flancs, comme on le voit parfois chez un culturiste surdéveloppé. Je porte sur moi un T-shirt, un gilet col-roulé, un gilet épais en laine, un foulard et une grosse doudoune.

À première vue, tout m'a l'air tranquille dans les alentours. La piste cyclable est complètement vide de monde et les battures sont désertes à part une poignée d'Oies des neiges qui s'alimentent devant nous. Quand je pense qu'il y a deux semaines, nous étions dans l'ivresse des oies et de leur cacophonie. Eh bien! Elles ont fini par migré.


Une piste cyclable vide


Ce qui reste des Oies des neiges


La marche des Oies des neiges

Ah! Voilà nos amis Serg Tremblay et Hugues Simard qui arrivent, étant avisés au préalable. Les optiques sont installés et après nos salutations chaleureuses, on se met tous aux jumelles pour scruter le ciel à la recherche des Pygargues à tête blanche et des Aigles royaux. Dans la demi-heure, Serg s'écrie : « Un pygargue adulte! » Et les festivités commencent...

En novembre, La Baie est tout prescrit pour l'observation des oiseaux de proie, en particulier les pygargues et un peu moins les aigles, puisque ces derniers ont plutôt migré en octobre. Les rapaces qui arrivent du nord franchissent la chaîne de montagnes des Monts-Valin qui ceinture le nord de la région. Les pygargues traversent ensuite la rivière Saguenay et survolent d'autres montagnes avant de traverser les eaux de la baie jusqu'à nous. C'est là que nous les attendons alors que ceux-ci s'élèvent pour prendre de l'altitude. Après leurs traversées, les pygargues et les aigles poursuivent leur route vers la réserve faunique des Laurentides en direction du sud. Croyez-moi! Ces montagnes sont un pur bonheur pour les amateurs d'oiseaux de proie comme moi. Par contre, un télescope est essentiel pour leurs identifications à longue distance.


Serg et Germain au travail


Hugues et Germain qui jasent


La baie lors de la marée basse (ilet à gauche)


Le bonheur : les montagnes qui accueillent les rapaces


La chaîne des Monts-Valin enneigée derrière

Au bout de quelques heures, nous commençons tous à geler. Serg sent le froid franchir une à une ses vertèbres et frissonne. Hugues lui, commence à greloter. Quant à Germain et moi, nous avons froid aux pieds. Pour nous réchauffer, nous effectuons quelques pas de danse discrets entre des séances de jumelles.

« Pygargue adulte! » criais-je. Encore un. Nous nous délectons à le voir voler et migrer près de nous. Nous poursuivons ainsi, à faire des vérifications régulières aux jumelles en bavardant de temps en temps, la tête rentrée dans les épaules à cause du vent froid. À l'heure du midi, Hugues nous quitte, le corps grelottant. Et pour cause! On se sent comme dans l'Arctique. Ainsi, un vénérable soldat est tombé. Nous continuons les observations avec Serg. Cependant, le temps froid, venteux et humide grugent de plus en plus nos énergies et siphonnent nos précieuses calories.

Vers 13h, nous avons en cumulatif  huit pygargues (deux adultes et six immatures) en migration! Pas d'aigles aujourd'hui. C'est au tour de Serg de nous quitter maintenant. Les pieds qui gèlent sont meurtriers pour le reste du corps qui n'arrive plus à se réchauffer. Une heure après, n'en pouvant plus non plus, c'est à notre tour de trouver refuge pour se réchauffer. Même que, Germain faisait un début d'hypothermie. Il grelotte sans pouvoir se contrôler. Quant à moi, mes rotules d'épaules surchauffent et brûlent littéralement à cause des efforts soutenus, ayant toujours les bras relevés. Ainsi, nous nous ruons au restaurant pour manger, boire des breuvages chauds, enlever nos bottes et se réchauffer! Vous dire que La Baie en novembre est traitre pour le froid, c'est peu dire!

Malgré ces inconvénients, nous sommes très heureux de notre journée avec tous nos pygargues en poche. Cependant, rien n'a été acquis. Nous avons fait des efforts à la limite de nos capacités physiques. Le bedon bien remplie, le corps réchauffé, le rose revenant sur les joues, nous partons de La Baie pour retourner dans notre havre à Saint-Fulgence. Ce fut une magnifique journée!


Un Pygargue à tête blanche immature en migration

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